samedi 18 juillet 2009

La cité perdue


14 ans après
ses travaux de lancement initiés par Hassan II, Sala Al Jadida
s’avère être une ville dortoir sans aucun charme et gangrénée
par une multitude de problèmes. Reportage.



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Vous êtes à
Rabat.Vous désirez vous rendre à Sala Al Jadida. Rien de plus
simple. Prenez l’autoroute en direction de Fès. Allez tout
droit. Vous traverserez des paysages verdoyant à couper le
souffle. Au bout de dix minutes, vous arrivez à un croisement.
Un panneau indique clairement : Sala Al Jadida. Si vous
empruntez le bus, le voyage sera un peu plus long : au moins une
heure ! Deux gendarmes supervisent la circulation. Regardez-les
bien, car ce seront probablement les derniers agents que vous
croiserez. De prime abord, la ville, qui domine sur 130 mètres
d’altitude la vallée du Bouregreg, ne souffre d’aucun mal. Sala
Al Jadida, environ 200 000 habitants, semble propre et bien
entretenue. Mais ceci n’est qu’une façade et la réalité est tout
autre. Dans un silence d’enterrement, les rues dégagent marasme,
nonchalance et ennui. Nous sommes bien loin des promesses mises
en avant dans le flyer de présentation de la ville, destiné à
aguicher des Marocains au faible pouvoir d’achat.



L’anarchie
totale



« Vivre en
paix et retrouver cette qualité de vie oubliée, tout en en
bénéficiant des avantages et facilités d’une ville



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moderne. Ce
rêve est désormais possible
», pouvait-on lire en 1998 sur
ce document, qui laissait entrevoir « un lieu privilégié
», «une ville bien pensée» ou encore « une ville
attachante
». Aujourd’hui, ce tableau idyllique promis par
les bureaux de vente est un mirage. Les critères nécessaires à
la définition d’une ville ne sont pas réunis. Seuls des murs ont
été vendus aux acquéreurs. L’absence totale d’agents de la
circulation et de petits taxis dans les artères de la cité saute
aux yeux. « L’inexistence de petits taxis est due à un
manque de rentabilité
», atteste un professionnel du
secteur des transports qui précise que « pour être rentable,
un taxi doit desservir la ville de Salé. Or, les usagers de Sala
Al Jadida n’auront jamais les moyens de payer cette course et
opteront pour le bus
». Ce qui explique la présence
illégale des taxis collectifs qui même s’ils sont censés ne pas
pénétrer à l’intérieur du périmètre urbain, circulent de façon
anarchique et concurrencent les bus. Les sociétés Joumani et
Bouzid exploitent la même ligne. « Il y a concurrence
acharnée des deux compagnies qui fait que leur vitesse de
croisière est très dangereuse
», dénonce un chauffeur de
bus. « J’ai ramené des gens de Rabat. Ils m’ont demandé de
les déposer chez eux pour éviter de marcher 20 minutes ou
d’attendre le bus
», raconte le chauffard d’une vieille
guimbarde blanche qui se dit « tranquille puisqu’il n’y a
pas de policiers pour faire régner l’ordre
». Si griller un
feu rouge est monnaie courante et que la police est absente,
qu’arrive-t-il en cas d’accident ? « Lorsqu’il y a
accrochage, la police contacte les autorités de Salé pour faire
un constat et nous sommes obligés d’attendre au moins une heure

», témoigne un autochtone. Plus grave encore, qu’en est-il de la
sécurité des citoyens ? « Il faut éviter de sortir le soir.
Les agressions, la prostitution et la vente de drogue douce et
dure sont très développées ici
», se plaint un épicier.
Sala Al Jadida n’a plus de Wali depuis 2003. Aujourd’hui, la
ville dépend de la Wilaya de Salé. Selon un fonctionnaire de
police, ce départ a profondément affecté les moyens humains et
matériels. « En 2003, nous étions plus de 200 agents dans
les deux commissariats de la ville. Aujourd’hui, nous sommes
seulement une dizaine
», confie cet agent dépité, avant de
conclure qu’avec « deux véhicules pour tous les habitants
», il est impossible d’assurer la sécurité. « La police
rechigne toujours lorsqu’on appelle à l’aide
», se plaint
Hamid. Ce délégué médical de 46 ans vit à Sala Al Jadida et a la
chance de posséder une voiture, c’est pourquoi « de toute
façon, je préfère sortir à Rabat le soir car il n’y a aucune
activité intéressante : pas de cinéma, de café correct ou même
de grande surface
». En 2000, Hamid, père d’une famille de
4 enfants a acquis un 63m2 en payant 1500 dirhams par mois sur
20 ans. Depuis, son salaire est toujours de 5000 dirhams…



Chape de plomb



Autre
défaillance criarde de « Salé la nouvelle » : il n’y a pas
d’hôpital ni de service d’urgences ! Seulement deux



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centres de
soins qui s’alignent sur les horaires continus des
fonctionnaires (9h à 16h) sont ouverts aux badauds. Un médecin
généraliste (un seul !) assure une permanence de 21 heure à
minuit. « Nous manquons cruellement de moyens et d’effectif
pour accueillir tout le monde
», confie une infirmière. « Il
est inadmissible que les blessés graves ou femmes enceintes
doivent attendre une ambulance pour les acheminer jusqu’à Salé

», poursuit la jeune femme. Moins grave, mais tout aussi
inquiétant, l’éducation est loin d’être à la hauteur des
attentes des citoyens. Manque d’enseignants, de financement, de
structures… rien ne va. « Il n’y a qu’une seule école
primaire publique. Je suis donc obligé de traverser la ville
pour me rendre à l’école
», témoigne un
enfant de 9 ans. Pour palier au manque d’activités culturelles,
l’Etat, par le biais du ministère de la culture, a choisi Sala
Al Jadida pour héberger une de ces vingt « Maisons de la
culture ». Avec un nombre de livres qui frôle le ridicule et une
dizaine de malheureux ordinateurs, cet établissement, malgré les
efforts incessants de ceux qui le dirigent, ne peut accueillir
énormément de visiteurs et inciter les jeunes à sortir de
l’oisiveté. La preuve : le lieu compte seulement 300 adhérents.
Dernier point à signaler dans ce tour d’horizon d’une ville qui
se voulait être un modèle pour les nouvelles arrivantes : le
traitement des déchets est loin d’être au point. «Nous
sommes une quarantaine à assurer le ramassage des ordures
»,
assure un employé de Véolia, unique société à gérer les déchets
de la ville. « Pour balancer leurs poubelles, les habitants
sont obligés de se déplacer jusqu’à des points de dépôts précis
qui sont parfois assez loin de leurs habitations
»,
constate ce balayeur. Peu rassurant, pour une ville bourrée
d’ambition située non loin du parc Technopolis de Salé, censé
générer 300 000 emplois d’ici 2013. Pour réaliser les souhaits
de Hassan II, qui avait lancé les travaux de cette « ville
nouvelle génération
» le 11 juillet 1995, il va falloir que
les autorités compétentes repensent la politique d’urbanisme de
la région. Le paysage fait étrangement penser aux HLM des
banlieues parisiennes. Malgré ses problèmes, Sala Al Jadida
attire toujours des Marocains venus des quatre coins du Royaume.
Ce gigantesque projet qui a fini dans les temps en réalisant six
appartements par jour, a largement dépassé ses ambitions qui
étaient d’accueillir 120 000 habitants. Mais au prix de
l’étouffement et d’une chape de plomb sur la ville.

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