samedi 18 juillet 2009

Tramway de Rabat : la vérité


Qu’est ce qui se trame à Rabat ?

Les travaux du tramway prennent de plus en plus
d’ampleur dans la capitale. Gros plan sur un ambitieux
chantier qui ralentit toute une ville.




Dans les
opérations de lifting il existe une phase déplaisante. Rabat
ne déroge pas à la règle. Les premiers coups de pioche pour
la réalisation du tramway ont eu lieu le 23 décembre 2007.
Dix-huit mois après, habitants, commerçants et surtout
automobilistes subissent quotidiennement des bouleversements
inhabituels dans une ville pourtant réputée pour son calme
et sa fluidité. «Pour un trajet qui prend normalement un
quart d’heure, on peut mettre jusqu’à une heure et demie
pendant les heures de pointe», constate Ahmad Ouchibou,
secrétaire général du syndicat des employés du transport
urbain de Rabat. Et comme un malheur n’arrive jamais seul,
les horaires d’autobus ne sont pas respectés. Dans certaines
zones comme l’avenue de France, la moitié de la voierie a
été condamnée pour le passage du tram, au détriment des
automobilistes qui ne disposent plus que d’une allée très
étroite pour circuler. Loubna Boutaleb, directrice du projet
de tramway, explique que l’installation des rails par
l’avenue en question se justifie parce que «c’est l’axe
principal de l’Agdal qui est un quartier commercial
important.» Elle souligne
également que «cette avenue permet aussi d’aller vers les
universités» et qu’il y avait déjà des congestions sur cet
axe à cause des autobus. Le regard de Yassir Aziz,
architecte urbaniste, est complémentaire : «La rentabilité
du projet à également été pensée. On ne peut pas faire
passer le tramway uniquement par les grands axes. Il faut
faire venir le tramway aux citoyens et non pas le
contraire», indique ce dernier, qui a collaboré avec
l’agence du Bouregreg, en charge de ce projet qui s’élève à
quatre milliards de dirhams. Et de trancher : «J’estime que
le tracé du tramway est tout de même bien étudié. Il y a
deux ou trois petits tronçons noirs qui auraient peut-être
mérité d’être étudiés un peu plus dans le fond». Dans le cas
où une voiture tombe en panne dans une allée à sens unique
(chose qui est déjà arrivée et qui a provoqué des
embouteillages), quelle est l’issue possible ? «Si la
municipalité met les moyens nécessaires pour pallier ce
genre d’incidents on va se retrouver dans les problèmes
banals d’une mégapole comme celle de Paris», rassure Yassir
Aziz. «Il existe de petites voies dans le Marais qui ne font
passer qu’une seule voiture et on n’a jamais évoqué de
problèmes de panne. Il ne faut pas dramatiser les faits».


Automobilistes pénalisés

Toute comparaison faite, le tramway n’est pas un moyen de
locomotion anodin. En reliant Salé à Rabat, il


bouleverse complètement la stratégie du transport public.
Initiative royale mise en place par un groupe de réflexion
présidé par le conseiller du roi Meziane Belfkih en 2002, le
tram est censé réorganiser l’ensemble des autres modes de
transport. Les responsables du projet ne le cachent pas, il
pénalise les automobilistes. Et ce n’est que le début. «Des
parkings seront mis en place pour que les gens puissent
stationner leurs voitures et poursuivre leur trajet en
tram», précise Loubna Boutaleb. Mais est-il possible de
changer la mentalité d’un Rbati au point de le faire agir
comme un Parisien ? «Nous ne sommes pas allés jusqu’à créer
des zones piétonnes fermées aux voitures comme en Europe»,
estime cette porte-parole. Selon elle, le tramway est avant
tout destiné aux citoyens qui empruntent les transports
publics : «Les études que nous avons faites montrent que le
transport public est en perte de notoriété, ce qui est
compréhensible, compte tenu de l’état actuel du parc». D’où
le coût de ce nouveau transport qui sera abordable pour
tous : «Le ticket coûtera moins de dix dirhams. Il faut
raisonner en déplacements : une personne qui vient de Salé
ne prend pas un seul bus. Le coût du déplacement sera
équivalent à ce qu’il paye actuellement en bus, mais dans de
meilleures conditions». Là où le bât blesse, c’est que pour
atteindre un tel coût, le tramway sera subventionné par l’Etat.
«Les tickets de bus ne sont pas subventionnés par l’Etat.
Cette nouvelle donne est injuste et c’est le citoyen qui va
subir», prévient Ahmad

Ouchibou. Puisque le schéma du tram est calqué sur les
tronçons d’autobus, axes les plus porteurs, ces derniers ne
vont-ils pas être désertés ? «Ce sont surtout les gens qui
prennent le taxi qui emprunteront le tram. La fréquentation
des autobus ne sera pas affectée», pense cette même source.
D’autant plus que soixante pour cent des déplacements à
Rabat et Salé se font à pied, cinq cent mille personnes font
l’aller-retour entre les deux villes tous les jours, et 1,5
million est parfois concentré dans la journée à Rabat.


Un projet prématuré ?


Toutes ces informations n’auraient pas été suffisamment
diffusées par l’Agence du Bouregreg auprès des Rbatis et
Slaouis. Le problème majeur du tramway de Rabat est avant
tout le manque d’informations dont disposent les habitants.

Un grand panneau qui a fait son temps, des dépliants
distribués tous les trois mois et quelques flyers… c’est
tout ce dont disposent les badauds pour savoir ce qui se
trame exactement derrière les grillages des travaux.
Slalomant dans un vaste chantier poussiéreux, les véhicules
ne savent plus à quel saint se vouer le long du tracé. Les
critiques fusent de partout. La faute aux responsables qui
n’anticipent pas les changements ? Lorsque du jour au
lendemain une nouvelle déviation apparaît et que des routes
sont bloquées, cela ne peut que provoquer la colère des
conducteurs. A noter que c’est Salé qui a le plus souffert
de ces changements inopinés. «Il est vrai que nous recevons
des coups de fil de gens qui veulent s’informer», admet
Nadia Jebrou, chargée de communication du projet, «nous
allons mettre en place une nouvelle politique de
communication : une campagne radio et des kiosques info
chantier où une personne répondra aux questions des
riverains.» Dernier événement en date qui a fait couler
beaucoup d’encre, sans pour autant obtenir de réponse : le
22 mai dernier, vers 11h, une explosion a eu lieu place Al
Mansour, un lieu très fréquenté entre le centre-ville et l’Agdal.
Les dégâts ? Un homme brûlé, des femmes criant au désespoir
et des voitures endommagées. Plus de peur que de mal. Pour
l’urbaniste Yasser Aziz, cet incident est à relativiser.
«D’un point de vue citoyen, cela aurait dû être évité. Mais
en mettant les choses dans leur contexte, il est difficile
de faire passer un tramway alors qu’il y a un flux de
piétons et de circulation à respecter». Il atteste que le
projet n’a pas été développé de façon anarchique : «Les
projets comme le tramway du boulevard des maréchaux à Paris
ou Euromed de Marseille ont été faits exactement selon les
mêmes normes». Pour les principaux concernés, il est
quasi-impossible de connaitre tous les réseaux souterrains
de Rabat. «Même la REDAL ne maîtrise pas ses réseaux
historiques. On découvre une canalisation, la REDAL nous dit
qu’elle n’est pas sous service et on découvre quelle est
sous pression», explique Nadia Jebrou.

Autre désagrément : les voitures se retrouvent souvent dans
une espèce de voie tertiaire complètement truffée de trous
qui ne sont pas toujours comblés. «C’est juste la phase
travaux. Après, je suis certain qu’il n’y aura aucun
problème dans des endroits comme l’avenue de France. Je
dirais même que ce sera l’avenue la mieux gérée. Le tram va
changer la culture du conducteur», avance Yassir Aziz. Mais
les ouvriers qui s’activent tous les jours sur le chantier
ne sont pas prêts de remballer leur matériel. Il reste
environ un an et demi de travaux. Les premiers passagers
seront accueillis début 2011.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire